J’ai commencé cet été l’écriture d’un article sur le Metaverse avec, comme souvent, la volonté de clarifier mes idées sur le sujet et d’en donner une définition aussi limpide que possible. Vous êtes en train de lire la 36ème révision et j’ai toujours autant de mal à aborder le sujet, tellement il y a de choses à dire, et tellement de choses ont été dites … Je vais donc oublier l’exhaustivité et me concentrer sur quelques éléments de ce concept qui me semblent importants. Je vous invite à consulter le liste de liens en fin d’article pour trouver d’autres sources d’informations.
Un Metaverse
Si vous suivez l’actualité des technologies immersives depuis un an il ne vous a pas échappé que le mot « Metaverse » est à la mode. Utilisé pour tout et n’importe quoi comme beaucoup de concepts « hype« , il devient difficile de s’y retrouver au point que le moindre jeu en ligne devient un Metaverse (dans la bouche de celui ou celle qui veut le vendre).
The word « Metaverse » is made up of the prefix « meta » (meaning beyond) and the stem « verse » (a back-formation from « universe« ); the term is typically used to describe the concept of a future iteration of the Internet, made up of persistent, shared, 3D virtual spaces linked into a perceived virtual universe.[1] The metaverse in a broader sense may not only refer to virtual worlds, but Internet as a whole, including the entire spectrum of augmented reality.[2]
Wikipedia (octobre 2021)
Pour moi, le Metaverse est un concept plus qu’une réalité aujourd’hui. Il représente une sorte d’évolution de l’Internet en incluant des expériences plus immersives dans des environnements à la fois virtuels et réels. Alexandre Bouchet de Clarte explique bien cette évolution sur France Culture. Cela implique pratiquement qu’il n’existe pas de Metaverse aujourd’hui mais plutôt des « expérimentations » de ce que « cela pourrait être » (Tom Ffiske parle de micro-Metaverses en phase d’agrégation). Dans son intervention à l’AWE2021, Avi Bar Zeev fait le parallèle avec le développement organique du réseau Internet dans ses premières années. Une condition impérative à ce développement est, bien entendu, une bonne dose d’interopérabilité entre les différentes systèmes techniques.
C’est d’ailleurs cette notion d’interopérabilité qui est mise en avant dans de nombreuses définitions comme celles de Matthew Ball, Tom Ffiske ou de Marc Petit (EPIC games). Je pense que nous devons envisager cette interopérabilité en termes techniques, un peu comme les standards qui vous permettent de naviguer sur le web avec le même navigateur sans (trop) de différences. Ça n’a l’air de rien mais cela a pris de nombreuses années … Imaginez que nous pourrons passer nos profils/avatars/contenus d’un monde à l’autre sans obstacle est bien plus utopique (désolé pour Ready Player One). Après tout, en 2021 nous ne pouvons pas naviguer sur tous les sites web avec un seul profil. Vos données sont précieuses et les vampires numériques ne sont pas très partageurs 🙂 Au niveau des utilisateurs on peut également se demander si le profil unique (en pratique une identité numérique globale) est une réelle demande.
Autre point important que rapporte Brian Merchant dans un article très détaillé, le concept de Metaverse provient d’une branche très dystopique de la littérature de science fiction. Même si le concept original a été proposé par l’écrivain Neal Stephenson en 1992 dans son roman « Snow Crash » (le samouraï virtuel en français), de nombreux auteurs ont écrit sur le sujet comme William Gibson ou Philip K. Dick et nous avons aussi une abondante production de mangas dans ce domaine dans les années 80/90. Cela n’implique évidement pas que le concept même de Metaverse soit dystopique, mais cela doit nous amener, en particulier en Europe, à être plus proactif dans sa construction pour éviter « les mauvaises surprises » 🙂
Deux visions
S’il existe aujourd’hui des milliers de définitions du Metaverse, je vous propose de distinguer deux visions qui vous probablement structurer le débat (et les conflits) sur le sujet dans les prochaines années. La première est illustrée par « Ready Player One » ou même « Matrix » et est plutôt portée par la réalité virtuelle (vision RV). Ce Metaverse immerge l’utilisateur dans un monde synthétique qui n’a pas obligatoirement de lien avec le monde réel. La seconde vision est plus ancrée dans ce monde, elle s’appuie sur la réalité augmentée (vision RA) et Pokémon Go de Niantic en est la figure emblématique. Je vous propose d’explorer quelques éléments relatifs à ces deux visions probables.
La vision RV du Metaverse est la plus partagée aujourd’hui, pour ne pas dire la plus bruyante. Elle ressemble au concept original de Neal Stephenson et il est déjà possible de tester de nombreuses expériences de ce type. Nous devons nous souvenir que Second Life à presque 20 ans ! La vision VR est portée par plusieurs acteurs du numérique comme Meta (avec le projet Horizon) et à peu près tous les éditeurs de jeux en mondes ouverts … Elle est probablement la plus « bankable » car elle repose sur des plateformes technologiques assez matures, même si de nombreux progrès sont à faire sur les connections simultanées d’utilisateurs par exemple. Coté matériel, la plupart des univers de la vision VR sont accessibles avec un PC, un mobile et/ou une casque de réalité virtuelle. Les dernières annonces de Qualcomm sur la vente des casques Meta Quest 2 ou les chiffres de ventes du PSVR de la Playstation nous montrent que ses accessoires sont tranquillement en train d’arriver dans les foyers. Les freins matériels et logiciels se levant petit à petit, on peut sans trop de risques parier sur la croissance du marché.
Des tests « grandeurs natures » ont été faits en 2020 et 2021 pour des concerts, des événements, des rencontres sportives et nous avons pu y confirmer l’intérêt des utilisateurs, au delà de la simple solution alternative au confinement. Il reste à mettre en place des outils de monétisation dédiés mais cela ne saurait tarder.
La seconde vision, la vision RA, est plus ancrée dans le monde physique, elle cultive de nombreux liens entre réel et virtuel et de ce point de vue, semble plus portée par la réalité augmentée. Je le rapproche, pour ma part, des premiers romans cyberpunk de William Gibson où la « matrice » est une sorte de jumeau du monde (même si on y entre en réalité virtuelle) ou encore du roman de Philip K. Dick « Do Androids Dream of Electric Sheep? » qui a donné plus tard le film Blade Runner. Dans toutes ces histoires les deux mondes (réel et virtuel) ont des influences simultanées l’un sur l’autre.
Plusieurs « couches » d’augmentation numériques peuvent coexister et les utilisateurs naviguent entre elles suivant les besoins. On pense évidemment à l’univers de Pokémon Go de Niantic (dont le CEO aime bien dire que c’est le « vrai » Metaverse) et à un certain nombre de jeux géolocalisés récents comme « Astérix & Obélix : Vidi Vici » développé par Hootside. Il existe aussi plusieurs projets orientés vers le commerce qui permettent de louer des espaces virtuels liés à des emplacements réels pour y installer un magasin virtuel ou tout autre choses. La startup russe Piligrim XXI a par exemple lancé Arcona en 2017 sur ce principe et les transactions continuent aujourd’hui. Plus récemment des entreprises comme upland partent d’un principe similaire en introduisant en plus une crypto-monnaie pour faciliter les transactions. Facebook et les autres acteurs majeurs du numériques travaillent bien entendu sur le sujet, parfois depuis assez longtemps. Google par exemple poursuit son programme de recherche depuis 2010 avec des lunettes (les Google Glass qui sont toujours en opération), des usages dans ses différents outils, la modélisation d’un jumeau numérique de la Terre, etc.
Si la vision AR est un peu moins présente dans l’actualité c’est surtout à cause d’un manque de matériel adapté. Bien sur, tout le monde peut utiliser son smartphone pour vivre une expérience de réalité augmentée. Cela marche très bien dans de nombreux usages dont je parle régulièrement ici (beauté, mobilier, etc.) mais cela reste insuffisant pour une vraie immersion dans un environnement augmentée. Si on laisse de coté les appareils de réalité augmentée projetée (un exemple) qui ne sont adaptés qu’à des lieux précis, on comprend que les (fameuses) lunettes sont des outils indispensables pour profiter un maximum de la vision RA. Elles permettent en effet de bénécifier des augmentations en gardant les mains libres. Malheureusement des lunettes de réalité augmentée sont des dispositifs optiques assez difficiles à développer dans un facteur de forme compatible avec la vie de tous les jours. Les modèles performants comme Hololens (Microsoft), Moverio (Epson) ou Blade (Vuzix) restent massives et peu autonomes en terme d’énergie. Il est normal que leurs usages sont plutôt tournés vers des tâches précises dans un cadre professionnel. Les quelques tentatives de lunettes plus légères comme les Stories de Meta/Ray-ban, les Spectacles de Snap ou les Nebula de Nreal sont plus proches des écrans déportés. Nous aurons peut être une surprise de la part de Apple en 2022 mais je ne parierai pas un euro la dessus 🙂
En bref, ces deux visions du Metaverse, sans être complètement antagonistes, ont tendance à polariser les ressources et, comme on l’a vu entre Meta et Niantic, les discours. L’avenir nous dira si elles peuvent se rejoindre.
Trois possibilités …
Comment tout cela peut-il évoluer ? Sans sortir ma boule de cristal je peux vous proposer trois grands scenarios liés évidement à la volonté (ou la contrainte) d’interopérabilité des acteurs. Ils sont valables à la fois pour le vision AR et la vision VR mais il est probable qu’un seul soit suivi pour les deux chemins.
Le premier pourrait être nommé « Metaverse Archipel » ou « Metarchipel » (oui, oui, moi aussi j’aime bien inventer des mots). Le modèle de monétisation n’ayant pas évoluer par rapport à la situation actuelle, il convient de capter le plus possible l’attention des utilisateurs pour vendre des publicités ciblés. Dans ces conditions, il n’y a pas d’intérêt à faciliter les déplacements entre les micro-Metaverses. Au contraire, plus on offre de fonctionnalités à l’intérieur d’un périmètre clos, plus on a de chance de garder son cheptel … Dans ce cadre, nous seulement les logiciels ne vous aident pas à partager votre profil mais les matériels deviennent exclusifs. Vous avez un casque (gants, combinaison, etc.) pour accéder à un seul micro-Metaverse et vous le louez probablement. Vos données personnelles sont évidement captées pour vous offrir des services « gratuits ». Vous utilisez d’ailleurs une monnaie particulière, dans laquelle vos actions sont rémunérées, et qui n’est pas échangeable, enfin disons plutôt que les CGU l’interdisent … Il est difficile pour un utilisateur d’utiliser plusieurs micro-Metaverses car, en plus des coûts d’accès, le temps n’est pas infini dans une journée. Vous êtes donc incité à ne choisir qu’une identité (une nationalité?) et à la développer. Bien entendu, si l’entreprise propriétaire disparaît ou se fait racheter, vous pouvez y perdre beaucoup … Il y a bien quelques îles pirates dans ce Metarchipel qui proposent des services de migrations entre systèmes ou des combines pas très claires mais qui voudrait quitter le confort du NoCode (#PrivateJoke).
La seconde possibilité et l’exacte inverse de la première, inutile de lui trouver un nouveau nom, il s’agit bien du Metaverse. Quel que soit vos appareils, vous pouvez accéder à toutes les « couches » de réalités virtuelles ou augmentées, en fonction bien entendu de vos permissions. Les standards internationaux sont là pour veiller à l’interopérabilité de tous les outils et les travaux de l’initiative Open AR cloud sont maintenant portés par le W3C (le World Wide Web Consortium qui défini les standards du Web). La propriété et la valeur sont gérées de manière décentralisée, probablement grâce à une ou plusieurs blockchains et vous pouvez donc transférer de la valeur à votre guise. La gouvernance de ce Metaverse n’est pas simple mais elle repose sur un système de vote et de groupements représentatifs. La monétisation est basée sur la création (de contenus, d’expériences) et, dans la grande majorité des cas, l’échange de valeur se passe sans intermédiaire. En effet, à la manière des MMORPG, des guildes se sont créées pour faciliter la recherche de compétences. Les tentatives des anciens moteurs de recherche de prendre ce marché n’a jamais fonctionné. Votre profil est également transportable car le standard VRM a était étendu bien au delà de l’avatar.
Vous me voyez probablement venir, la troisième possibilité est une combinaison des deux premières, à l’image de l’Internet et surtout du Web aujourd’hui. Comme le note Frédéric Cavazza dans son dernier article, l’énergie et la vision déployées par Meta vont certainement déboucher sur un écosystème immersif qui se rapprochera le plus du Metaverse. Cela va être rapide et « fermé » au sens ou on ne pourra pas s’y brancher sans le consentement de la société mère, un peu à la manière des magasins actuels d’applications. Là où je diverge de son analyse est sur l’importance des autres initiatives. Certaines vont créer leur « marché de niche », comme le font très bien depuis des années Second Life ou Pokémon Go, et seront rentables pour leur éditeurs. Dans ce cadre, comme dans bien d’autres, arriver le premier n’est pas toujours une garantie de succès. D’autres initiatives seront probablement les éléments du « développement organique » pour aboutir au Metaverse dont parle Avi Bar Zeev. On voit quelques signaux de cette évolution en Asie, où la volonté de construire des univers multi-services poussent les opérateurs à s’interconnecter. La création du VRM Consortium au Japon en 2019 n’est pas un hasard. De même la « Metaverse Alliance » annoncée par le gouvernement sud coréen en mai dernier s’est donnée une mission de standardisation.
So what?
Je n’ai pas de conclusion à vous donner car suivant que vous êtes un utilisateur, une marque, une professionnelle d’un domaine quelconque ou un état les chemin sont multiples. Pour faire simple, il me semble important de suivre le développement des offres des grands acteurs pour penser une stratégie d’usage ou de création en fonction de sa propre stratégie. Pour tous, la question de la maîtrise des outils (et des données utilisées) au sens « souveraineté » va se poser rapidement, en particulier si vous êtes en Europe ou en France 🙂
N’hésitez pas à revenir vers moi si vous voulez discuter plus en détail de ces sujets.
Quelques sources intéressantes
- Mondes virtuels : qu’est-ce que le métaverse ?
- Métavers : De quoi parle-t-on ?
- Quels enjeux pour le métavers 15 ans après ?
- The Metaverse: What It Is, Where to Find it, Who Will Build It
- Distinguishing between one macro-metaverse and several micro-metaverses
- On vous explique ce qu’est le métavers, « l’internet du futur » qui fait rêver la tech
- La fondation d’un Metaverse ouvert
- Some fluff on the Metaverse
- The Metaverse: Future of post-pandemic business, or just another attempt to kickstart VR/AR adoption?
- The Metaverse Has Always Been a Dystopian Idea
- La période est propice à l’éclosion des métavers
- Le métavers imaginé en 1992 voit aujourd’hui une convergence d’éléments conduisant à une nouvelle renaissance
- Value Creation In The Metaverse: A Utility Framework For NFTs
- Le métavers, univers virtuel connecté au réel, nouveau champ des possibles en Corée du Sud
- Beyond Meta — AR and the Road Ahead