Vous m’excuserez ce titre probablement un peu trop alarmiste. Je ne pense pas que Donald Trump ou son équipe soit vraiment intéressé par notre écosystème. Mais plusieurs éléments se mettent en place depuis quelques mois qui m’interroge sur notre capacité, en Europe et en France, à utiliser des briques technologiques assez innovantes pour créer des produits compétitifs. Je vous propose donc une réflexion personnelle sur ces signes pas si faibles et sur leurs potentielles conséquences pour la compétitivité de notre écosystème XR.
La dépendance aux briques technologiques
Je commence par enfoncer une porte ouverte, nous sommes complètement dépendants des outils matériels et logiciels pour créer des expériences de XR. Bien qu’il existe des initiatives de très haute qualité en Europe, comme Lynx ou Varjo pour le matériel, toutes les bases technologiques proviennent des USA (ou dans une moindre mesure d’Asie). J’ai évoqué dans un précédent article la réorganisation actuelle de la XR autour de trois écosystèmes (Google, Apple et Meta) et rien ne semble invalider cette hypothèse.
Nous pouvions avoir une interrogation sur les systèmes d’exploitation avec l’arrivée massive des lunettes connectées chinoises. À l’image du développement d’HarmonyOS chez Huawei, des initiatives pouvaient profiter de l’espace pour se développer. Avec l’annonce d’Android XR par Google en fin d’année 2024, je parierai maintenant sur l’utilisation étendue de cet OS.
En bref, tout le développement de notre écosystème se base sur les outils américains et nous n’avons aujourd’hui aucune opportunité pour nous en passer.
La montée de l’IA dans le domaine de la XR
Seconde porte ouverte que j’enfonce encore avec allégresse, les outils d’intelligence artificielle sont de plus en plus présents dans les expériences de XR. Nous pensons évidemment à l’utilisation de l’IA générative pour « motoriser » les lunettes connectées, un ajout qui a remis ce modèle de hardware sur le devant de la scène XR en lui donnant enfin une valeur ajoutée claire.
Mais ce n’est pas la seule utilisation de l’IA dans notre domaine. Les algorithmes de traitement du langage naturel permettent aux utilisateurs d’interagir avec les environnements virtuels par commandes vocales. La vision par ordinateur alimentée par l’IA améliore la reconnaissance d’objets et le suivi des gestes, rendant les interactions plus fluides. L’interface même des expériences XR peuvent être repensées avec l’aide d’un « avatar intelligent » qui va servir de lien entre l’expérience et l’utilisateur. Et que dire de la génération de contenu, qui reste un élément très contraignant dans la XR en termes de couts et de temps. L’IA est en train de rendre cet aspect bien plus simple. Mieux encore, les systèmes génératifs peuvent ajuster dynamiquement le contenu XR en fonction du comportement et des préférences de l’utilisateur.
Je ne vous refais pas le laïus sur notre dépendance à des outils non européens, vous avez compris le principe. Et encore, dans ce domaine, nous pouvons encore nous raccrocher aux offres de Mistral et à la bonne volonté open source de Meta.
La restriction d’accès aux outils en Europe
Les diverses réglementations européennes, en particulier l’AI Act mais également les textes encadrant le numérique (RGPD, DSM, DSA, DMA), ont entrainé ces derniers mois un phénomène assez nouveau, la restriction d’accès en Europe à des outils et à des services des GAFAM. Impossible d’utiliser les “AI Overviews » de Google, l’ « Apple Inteligence », les fonctionnalités des Ray-Ban Meta, le dernier modèle multimodal Llama, etc.
Nous avions déjà vu apparaitre des restrictions d’accès à certains sites internet à l’époque du déploiement du RGPD mais cela restait assez anecdotique. Aujourd’hui, les outils dont on parle sont des briques technologies essentielles, car ils peuvent modifier en profondeur la manière dont on crée une expérience de XR et la manière dont elle est consommée par l’utilisateur.
Dans le cadre de Meta AI par exemple, ce sera très probablement l’outil de développement des applications sur les lunettes Ray-Ban Meta et leurs successeurs ou au moins un élément essentiel. Comme créer une expérience concurrentielle sans ? L’Europe va-t-elle devoir se contenter des versions obsolètes ?
Pourquoi tout cela est important ?
Si je résume les éléments précédents, la XR va se développer de plus en plus sur des briques technologiques provenant de son domaine et de celui de l’IA. En Europe et en France, nous ne maitrisons pas les premiers et nous sommes restreints dans l’utilisation des seconds. Ces restrictions proviennent de la volonté des GAFAM pour s’adapter à la législation européenne. Jusqu’à récemment, ce processus d’adaptation pouvait être plus ou moins long, mais n’était pas remis en cause. Les récentes déclarations de Elon Musk ou de Mark Zuckerberg semblent indiquer une autre vision.
If some other country was screwing with another industry that we cared about, the U.S. government would probably find some way to put pressure on them, but I think what happened here is actually the complete opposite. The U.S. government led the kind of attack against the companies, which then just made it so the EU is basically in all these other places, just free to just go to town on all the American companies and do whatever you want.
Mark Zuckerberg at « The Joe Rogan Experience »
La régulation devient une arme commerciale comme une autre et, dans la logique de Donald Trump, un élément de négociation. Comme il est peu probable que l’Union européenne bouge sur les différentes régulations que nous avons évoquées, il n’est pas impossible que nous soyons régulièrement mis à l’écart de certains outils, et pour un temps indéterminé. On entend souvent dire que l’UE et son marché de 450 millions de consommateurs est d’une importance vitale pour les entreprises. C’est probablement vrai, mais c’est aussi oublier que le marché américain (USA + Canada) représente 380 millions d’habitants et que plusieurs parties du monde se développent rapidement.
Quels comportements adoptés ?
Si vous êtes un utilisateur de la XR, vous n’avez pas le choix car vous êtes sous la juridiction européenne. Sauf à partir vous installer ou installer votre entreprise dans un autre pays, certains outils vous seront inaccessibles. Évidement, pour des utilisations ponctuelles, vous pourrez toujours passer par un VPN. Il va nous falloir être astucieux.
Pour les professionnels de la XR, le maitre mot sera agilité et opportunisme, mais est-ce vraiment une nouveauté 🙂 Il va nous falloir songer à développer pour l’Europe et pour le reste du monde de manière différente. Il reste évidemment possible d’utiliser les règles européennes comme un argument commercial, en mettant en avant l’importance de données utilisateurs et la volonté de transparence des modèles d’IA. Mais si un gap conséquent d’efficacité se développe entre les solutions européennes et américaines, cela ne sera pas suffisant.
Du côté des briques technologiques, nous avions l’habitude d’éviter une trop grande dépendance aux matériels ou aux logiciels. Cela nous permet de ne pas « être en slip » à l’annonce de l’arrêt d’HoloLens ou de la modification de licencing de telle ou telle solution. Rien de change réellement avec l’intégration des briques d’IA. Il nous faut toujours avoir un plan B (et C). La petite différence est peut-être la nécessité d’intégrer une compétence dédiée à l’IA pour au mois suivre l’évolution rapide du domaine et anticiper. Savoir par exemple que nous ne pouvons utiliser une fonctionnalité, c’est imaginer comment les concurrents vont en tirer parti et comment répondre.
Finalement, non, l’arrivée de Donald Trump n’est pas véritablement un danger pour l’écosystème XR en Europe et en France… à condition que ce dernier se prépare à changer les régles du jeu !
