Avec deux bons mois de retard, je prends le temps de visionner les différentes conférences de l’AWE 2023 et, comme pour toutes les éditions, certaines apportent des éléments précieux pour comprendre les bonnes pratiques du déploiement de la RA ou de la XR dans l’industrie. Je voudrais aujourd’hui mettre l’accent sur deux conférences assez complémentaires. La première est un panel qui parle de la mise à « l’échelle » d’utilisation de la XR. La seconde se concentre sur les bonnes pratiques quelle que soit la taille du déploiement. Je vous propose d’en tirer une synthèse globale.
Je vous invite évidemment à aller visionner ces deux conférences pour en savoir plus :
- XR at Scale: Panel Discussion with Walmart, Axon and the U.S Department of Veterans Affairs: Caitlin Rawlins (the U.S Department of Veterans Affairs), Robert Murphy (Axon), Jarrad Nagel (Walmart)
- A Champion’s Playbook: Tim Ventura (Holo-Light), Shelley Peterson (ex Lockheed Martin)
Commençons par mettre en lumière les bonnes pratiques de conduite d’un projet de XR. C’est un sujet que j’aborde régulièrement sur ce site à travers en particulier l’expression des besoins ou la nécessité de collaboration pour éviter les futures complications. Tim Ventura apporte un élément supplémentaire à la réflexion en considérant la place de l’innovation dans un tel projet, ou plutôt l’idée que l’on peut se faire de ce qu’est ici l’innovation. En effet, pour beaucoup de personne, la XR c’est par définition innovant et cela entraine plusieurs soucis.
Surutilisation du terme « innovation » : Tout d’abord, le terme « innovation » est souvent sur utilisé dans l’industrie, à tel point qu’il perd de sa signification. C’est un mot à la mode, sans une compréhension claire de ce qu’il signifie réellement ou de ce qu’il implique. On va par exemple tenter de réinventer l’assistance à distance en RA alors que de multiples outils sont déjà disponibles sur étagère.
Utilisation de l’innovation comme une échappatoire : Tim Ventura note que l’innovation est fréquemment utilisée comme une échappatoire lorsque les défis ne sont pas bien compris ou lorsque toutes les réponses à un problème ne sont pas disponibles. Au lieu de se concentrer sur la résolution des problèmes existants, les entreprises peuvent se cacher derrière le mot « innovation » pour éviter de traiter les problèmes plus profonds, généralement organisationnels. Ce n’est pas propre à la RA, mais c’est souvent lié au numérique. On peut par exemple vouloir mettre en place un outil d’aide aux opérations pour réduire le taux d’erreur d’une chaine de montage, sans se poser la question de l’origine de ces erreurs.
L’innovation comme source de risque : On semble oublier que l’innovation peut introduire des risques dans les processus. Cela peut inclure des risques pour le budget, l’adoption de nouvelles technologies, la mise en œuvre de nouvelles idées et, plus important encore, la capacité à évoluer. Au lieu de favoriser le progrès, une innovation mal gérée peut en fait entraver un processus.
L’innovation comme produit final plutôt que comme sous-produit : C’est peut-être le problème fondamental, fortement lié au premier point de notre liste. L’innovation est considérée comme le but d’un projet. Il « faut » être innovant, car sinon on passe pour une industrie du siècle dernier. Les entreprises peuvent alors perdre de vue les objectifs plus importants de résolution des problèmes et de création de valeur. L’innovation devrait pourtant être un sous-produit du processus de collaboration et de résolution de problèmes…
Tim Ventura explique donc que l’objectif premier dans un projet de XR doit être et doit rester la résolution d’un problème, qu’elle implique ou non de l’innovation. Pour valider l’existence de ce problème, le moyen le plus simple est de favoriser la collaboration. Shelley Peterson souligne ce point en parlant de ses nombreuses expériences dans les grands groupes. Elle note que les équipes projets doivent être à la fois internes et externes, car les parties prenantes d’un problème industriel sont bien souvent plus larges que l’entreprise.
Elle introduit le concept de « Hippo », qui signifie « Highest Paid Person’s Opinion ». Ce terme fait référence une tendance générale dans de nombreuses organisations où l’opinion de la personne la mieux payée (généralement un/une cadre supérieure ou un/une dirigeante) a tendance à dominer ou à orienter les discussions et les décisions, indépendamment de son expertise ou de sa connaissance du sujet en question. Dans le contexte de la XR, l’opinion du « Hippo » peut avoir un impact significatif sur la direction et le succès d’un projet. Cela peut être bénéfique si le « Hippo » a une compréhension claire de la technologie et de son potentiel. Cependant, si le « Hippo » manque de connaissance ou de compréhension de la technologie XR, cela peut conduire à des décisions mal informées qui peuvent entraver le progrès du projet. Bref, savoir connaitre et « utiliser » les « Hippo » est une compétence fondamentale du ou de la responsable de projet !
La discussion du panel XR at Scale complète bien ces recommandations en apportant des éléments concrets de développement massives d’expériences de XR. S’il faut en retenir quelques-unes, je vous propose celles-ci.
Adoption par « la ligne de front » : C’est une expression que j’ai beaucoup appréciée de Caitlin Rawlins (the U.S Department of Veterans Affairs). Peu importe le projet, ce sont les utilisateurs finaux qui doivent le valider. Les inclure dans la définition des objectifs et dans la conduite du projet est un élément nécessaire, mais pas suffisant. L’identification de « champions » ou d’ambassadeurs qui suivront concrètement les utilisations et feront remonter les bonnes pratiques et les questions est tout aussi important après la livraison.
Expérience utilisateur : Il est important de concevoir pour les utilisateurs les plus technophiles et les moins technophiles, et de rendre l’expérience la plus transparente possible dès la sortie « de la boîte ».
Collaboration et communication : Il est essentiel de travailler en étroite collaboration avec les équipes internes et les partenaires externes pour déployer la XR à grande échelle. Cela comprend le partage des leçons apprises et la résolution des problèmes. C’est un point déjà souligné précédemment, mais garder à l’esprit que dans une entreprise ou une organisation de plusieurs milliers de personnes et/ou de sites, c’est un travail titanesque.
Flexibilité et adaptabilité : L’industrie de la XR évolue rapidement, il est donc important d’être prêt à changer de direction et de stratégie en fonction des nouvelles découvertes et des évolutions du marché.
Compatibilité OpenXR : C’est presque une conséquence du point précédent, il est vital de travailler avec des standards. Pour assurer la flexibilité et l’évolutivité, Il vaut mieux construire du contenu compatible avec OpenXR. Comme Fabien le fait remarquer dans les commentaires, si vous travaillez au niveau applicatif, vous pouvez également utiliser le standard WebXR qui rendra votre expérience indépendante du matériel.
Analyse et suivi : L’utilisation de plateformes d’analyse aide à suivre l’utilisation et l’efficacité de la XR, en fournissant des données précieuses pour l’amélioration continue. Accessoirement, ce sont ces données qui permettront de défendre la maintenance ou l’élargissement des usages de la XR auprès des décideurs. Je ne le répéterai jamais assez, un projet sans objectif chiffré et sans outils pour mesurer est par définition un échec.
Mettre plus de têtes dans les casques : Encore une remarque pleine de bon sens de Caitlin Rawlins, et que les professionnels de la XR connaissent bien ! Pour comprendre pleinement le potentiel de la technologie, les gens doivent l’expérimenter par eux-mêmes. Il est donc important de promouvoir l’adoption et l’expérimentation de la XR au sein de l’entreprise.
Vous l’avez compris, un projet de XR est avant tout un projet et doit être conduit comme tous les projets industriels, avec peut-être une attention particulière à la flexibilité et une volonté forte de résoudre des problèmes. L’innovation n’est jamais un fin en soi, mais plutôt un chemin que nous sommes parfois amenés à emprunter.
OpenXR oui, en particulier si on a besoin d’un acces « bas niveau » comme par example faire son proper peripherique pour augmenter une simulation mais si on reste au niveau applicatif alors on peut aussi considerer WebXR qui est compatible avec tous les casques du marche (et meme le tant attendu Apple Vision Pro), une solution donc supplementaire pour s’assurer de ne pas se retrouver « bloque » avec une seule implementation pour un seul casque.
Merci pour ton commentaire, tu as tout à fait raison, je rajoute ce point dans le texte !
Je serais plus nuancé.
Des avancées technologiques peuvent survenir initialement dans une démarche de créativité pas forcément en rapport avec la résolution d’un problème donné.
La mise en œuvre pratique pouvant intervenir bien plus tard et pas toujours dans le secteur auquel on aurait pensé de prime abord.
Cela dit, il est vrai que concernant les outils numériques, il y a un manque de recul et de réflexion fréquent quant aux usages, pour ne pas dire une certaine forme d’immaturité.
C’est particulièrement vrai dans mon domaine, l’interprétation et la valorisation du patrimoine. L’effet « waou » ne fonctionne plus. Un outil numérique bien utilisé doit d’abord se faire oublier pour laisser la place au récit qui va transporter le visiteur à une autre époque, dans un autre monde. Une simple projection vidéo HD bien ficelée peut-être de loin préférable à une salle équipée à prix d’or avec des dispositifs XR dont l’expérience n’est pas à la hauteur. Une restitution en 2D ou 2D ½ faites avec goût et sensibilité aura un impact bien supérieur à de la 3D XR façon « playmobile » améliorée, parce que le budget ne suit pas.
L’utilisateur doit être au centre de la réflexion sur l’innovation et la techno au service du récit et de l’usage pratique.