Je parle régulièrement des usages de la RA dans le commerce sur ce site, car les exemples sont nombreux et les résultats souvent impressionnants. Dans ce grand ensemble, les miroirs de RA sont des objets particuliers. Ils sont à la fois très utilisés (sous une version détournée, nous le verrons) et presque complètement absents des commerces. Est-ce un paradoxe ou juste une énième confirmation de l’évolution des pratiques à plusieurs vitesses ? Faisons le point ensemble !
De quoi parle-t-on ?
Il convient de prendre un peu de temps pour définir ce qu’est un miroir utilisant la RA. Dans la définition la plus basique, il suffit que vous puissiez vous voir en temps réel sur une surface (miroir) avec des ajouts numériques également en 3D temps réel (RA). Un smartphone fera un parfait miroir pour peu que vous utilisiez une application adéquate comme YouCam Makeup (de Perfect Corp.) ou un filtre Snapchat. Je vais plutôt me concentrer ici sur les dispositifs plus grands et plus spécialisés dans cet usage, installés dans un magasin et non à la maison. Le miroir doit alors vous renvoyer une image à l’échelle 1 et sa taille va donc de 25/30 cm pour les visages à environ 2 mètres pour les corps entiers. Techniquement, on a affaire à des écrans, équipés de caméra et potentiellement de différents capteurs, le tout piloté par un logiciel dédié (ou pas !).
Les principales utilisations dans le commerce
L’usage principal de ce type d’objet dans un magasin est évidemment l’essayage virtuel. On peut ainsi proposer à l’utilisateur et l’utilisatrice un moyen simple et rapide de tester des combinaisons de vêtements, de bijoux ou de maquillages sans les contraintes habituelles. C’est un moyen efficace de réassurance et cela permet aux consommateurs d’être plus créatifs dans leur exploration. Cette utilisation est loin d’être nouvelle puisqu’il y a 10 ans, le magasine LSA la voyait devenir mature. Depuis, de nombreuses marques, dont plusieurs venant du luxe, ont tenté des expériences.
Plusieurs entreprises ont poussé les usages un cran plus loin en utilisant cette technologie pour personnaliser le produit final aux mesures du client, pour créer un résultat (quasi) unique. « Nike By You » est assez emblématique de cette tendance, car l’entreprise à placer l’essayage virtuelle et la RA au cœur de sa stratégie de personnalisation.
On comprend rapidement les intérêts pour l’entreprise. Nous avons un suivi fin des gouts des personnes avec, en plus, des éléments de morphologie et d’envies pour créer et cibler rapidement des campagnes de ventes ultérieures. Dans la fabrication presque à la demande, il y avait également une tentative de réduire sensiblement les espaces de stockage (pour les centres urbains) et les invendus, mais peu de communication ont été produites sur ces points.
Autre utilisation très classique des miroirs de RA pour les commerces, la communication ludique dans la vitrine. Encore une fois, il y a beaucoup d’exemple en la matière comme cette réalisation pour la marque Coach à New York l’an dernier. On s’éloigne dans ce cas de l’essayage et on entre plus dans des objectifs de communication à court termes.
Les usages aujourd’hui
Si on fait maintenant le bilan de l’utilisation réel des miroirs de RA aujourd’hui, on constate principalement deux choses. Tout d’abords, si les usages décrits plus hauts sont réels et apportent effectivement de la valeur ajoutée aux commerces qui les utilisent, ils sont souvent cantonnés aux marques « haut de gamme » et pour des opérations ponctuelles, à travers par exemple des « popups stores« . Cela peut paraitre étonnant que le miroir de RA soit toujours considéré comme une innovation dans ce cadre alors que, nous l’avons vu, les premiers usages ont bien plus de 10 ans. Mais il est vrai que qu’un scénario innovant et les nouvelles capacités techniques peuvent fournir des expériences très surprenantes.
Seconde constatation, la composante « filtre de RA » des réseaux sociaux s’impose comme un outil adapté à la mise en place de miroir de RA en apportant une capacité de diffusion immense. Ce n’est pas un hasard sur la majorité des dernières expériences de ce type s’appuie sur la technologie de Snap.
L’entreprise a d’ailleurs mis en place des outils permettant d’utiliser les filtres en dehors de l’application, comme sur des miroirs ou sur un site web, pour offrir plus de possibilités aux annonceurs et, ainsi, développer une nouvelle source de revenu. En offrant de regrouper les différents canaux de diffusion, Snap maximise l’impact des campagnes et s’inscrit parfaitement dans le caractère éphémère du popup store.
On peut également ajouter à ces deux grandes tendances un élément plus spécifique au domaine du maquillage où les miroirs de RA sont plus présents dans certains magasins. Impossible de parler d’utilisation généralisée, mais chez L’Oréal, par exemple, l’utilisation de tablettes équipées de l’application « MakeUp Genius » est assez classique dans un magasin dédié au maquillage. Cet usage est d’ailleurs suffisamment rentable pour que Perfect Corp propose une version particulière de son application, « Youcam for Business« , pour simplifier l’installation. Dans ce dernier cas, l’avantage mis en avant est la possibilité d’utiliser les mêmes maquillages en magasin et sur l’application mobile et éviter ainsi un développement supplémentaire.
Ce qu’on ne voit pas (ou peu)
Comme nous venons de le voir, il y a une subtile différence entre les usages potentiels des miroirs de RA et la réalité de leur utilisation. On peut donc se poser la question des freins au déploiement à grande échelle.
Si les usages pérennes des cabines d’essayage virtuel sont peu nombreux, c’est probablement lié à la difficulté de fournir des modèles 3D de toutes les gammes de vêtements, en particulier si on s’éloigne des marques de luxe. En effet, le cout de la modélisation et la vitesse de réassortiment rend le modèle économique peu intéressant.
En conséquence, on voit peu de « vendeurs augmentés » pouvant tirer un réel bénéfice de cette technologie (à l’exception comme nous l’avons dit du secteur du maquillage). La nécessité de former les personnes engendre un coût qu’il est difficile de rentabiliser si le turnover est important. Le bénéfice potentiel de la personnalisation de la vente serait évidemment plus important si la proposition de ne s’arrêtait pas à un seul secteur (maquillage, vêtements, bijoux, etc.) mais englobait tous les aspects de la mode. Cela implique en particulier des magasins multimarques et dans lesquels le métier même de la vente serait profondément modifié. On imagine facilement des « conseillers en apparence » pouvant faire des recommandations larges (allant potentiellement sur la santé), et outillés par des outils de réalité augmentée. C’est assez loin du modèle de commerce dominant actuellement.
On constate également peu d’usage collectif de ces outils avec lesquels le client pourrait aisément recevoir des avis en temps réel sur ses choix. Si quelques applications ont existé sur ce sujet, elles ont été remplacées par des publications sur les réseaux sociaux, un usage déjà ancré.
Dans un registre un peu plus spéculatif, les magasins « autonomes » pourraient par ailleurs bénéficier de la technologie des miroirs augmentés pour faciliter le choix des clients. Mais on constate aujourd’hui que les différentes expériences (Amazon Go, Carrefour Go) ne se développent pas vraiment et, de toute manière, concernent peu les secteurs dont nous avons parlé comme la mode et la beauté.
Encore plus prospectif, va-t-on bientôt pouvoir aller essayer des tenues virtuelles en magasin pour habiller son avatar professionnel et personnel ? encore une fois, le miroir augmenté serait tout à fait adapté à cet usage. Plusieurs marques proposent déjà des tenues pour des avatars. C’est peut-être un peu tôt pour voir se développer ce genre d’initiative, mais avec le développement progressif de l’utilisation d’outils immersif, le rôle du magasin physique y trouverait une évolution intéressante.
Quelles pistes de développement ?
Vous l’avez sûrement compris en lisant ces lignes, mon sentiment sur l’utilisation efficace des miroirs de RA en magasin est plutôt mitigé. Si la plupart des essayages sont passés sur le smartphone et en particulier sur les filtres des réseaux sociaux (immenses catalyseurs de diffusion), les utilisations en magasin restent assez pauvres (peu de propositions) ou éphémères (popup stores ou événements). Comment les choses peuvent-elles évoluer ?
Comme dans pas mal de domaine, l’IA générative pourrait peut-être faire évoluer les choses en combinant création et essayage. On peut imaginer facilement un processus de type :
- Captation des caractéristiques d’une personne
- Demande pour les goûts et les envies
- Génération de vêtements, de bijoux, de maquillage
- Itération
- Création du produit ou du service.
Presque toutes les briques sont disponibles aujourd’hui à l’exception importante de la fabrication qui, si on veut ne pas se contenter d’objets de luxe, doit être amélioré. Notez que dans cette perspective, la place du vendeur est une nouvelle fois à définir ! Il ou elle devra en particulier savoir parler au client et à l’IA ! De même, parle-t-on encore de magasin dans ce schéma ? A-t-on besoin de lieu physique permanent ? Va-t-on voir un révolution des popup stores ou même des services qui se déplacent chez le client ? Tout reste à écrire !
La situation du commerce physique n’est pas au beau fixe. Comme je l’ai décrit dans mon article sur la Paris Retail Week 2023, le secteur peine à considérer sérieusement l’innovation comme une voie de transformation. La principale raison est une étrange combinaison entre inertie humaine « classique » et réelle lourdeur de la chaine logistique qui n’est pas si numérisée que cela. Et cela s’ajoute des demandes extérieures contradictoires sur la durabilité, les prix ou les incertitudes d’approvisionnement. C’est donc l’évolution du commerce qui dictera la possibilité des miroirs de RA pour la vente. En attendant, si vous voulez vraiment avancer dans cet secteur, il semble plus judicieux de travailler sur les filtres de RA sur smartphone ou de viser le marché domestique (qui à lui même ces propres contraintes).