Même si j’ai plutôt l’habitude de parler des usages concrets de la réalité augmentée et de la XR sur ce site, je vais revenir dans cet article sur les investissements dans le domaine en vous parlant de deux tables rondes dédiées à ce sujet lors du dernier AWE. J’avais déjà évoqué le sujet dans un précédent article, car il semble que nous sommes dans une période charnière où l’investissement se transforme, avec de nombreuses conséquences sur notre écosystème.
Les deux panels que je vous invite à regarder sont les suivants :
- From Inception to Adoption: The First Decade of Investing in XR & Spatial Computing (History Talk) avec Ryan Wang (Outpost Capital) et Tipatat Chennavasin (Venture Reality Fund) est une vision « historique » de l’investissement dans la XR, tout en étant très clairs sur la situation actuelle. Ils échangent sur l’évolution de la technologie XR, les entreprises dans lesquelles ils ont investi, et les tendances du marché. Ils discutent des défis de la commercialisation de la VR, des attentes non réalisées, comme le storytelling en VR, ainsi que des percées comme les jeux VR, générés par de petits développeurs indépendants. Enfin, ils explorent l’impact de l’IA, du blockchain, et des futurs défis technologiques, tels que l’amélioration des dispositifs VR et l’intégration de la BCI (interface cerveau-ordinateur).
- Investor Q&A – Ask Us Anything ! est, comme son titre l’indique, une discussion ouverte avec Jasper Brand (BITKRAFT Ventures), Maddie Callander (Boost VC), Taylor Hurst (Konvoy) et Petri Rajahalme (FOV Ventures). Les intervenants discutent des défis et opportunités liés à l’investissement dans ces domaines, ainsi que des technologies émergentes comme l’Apple Vision Pro. Ils abordent également des questions sur l’attraction des investisseurs pour des projets VR/AR, les applications sociales, et les nouveaux modèles économiques pour la création de contenu en réalité immersive.
Voici les quelques points que j’ai tirés de ces discussions, et, encore une fois, je vous encourage à faire votre propre opinion en visionnant les vidéos.
L’adoption de la technologie est moins rapide que prévu
Cela peut sembler simple comme constat mais c’est toujours important de le garder à l’esprit. Même les investisseurs spécialisés dans le secteur ont surestimé la capacité de la VR à conquérir le marché grand public avec la vidéo 360° ou la narration immersive. Ils ont à contrario été surpris par le succès de jeux de « petits studios » comme Beat Saber.
Pour illustrer ce point, les participants de la première table ronde reviennent sur le cas particulier de l’éducation où les bénéfices de la XR ont été démontrés de nombreuses fois. Malgré ces succès, la pénétration de la technologie dans le système éducatif reste lente à cause à la fois du changement des habitudes et des problèmes d’acquisition et de maintenance du matériel.
La XR est considérée comme un marché de niche avec un potentiel de croissance limité
Si vous êtes un ou une spécialiste du domaine, vous devez être tombé(e) de votre siège 🙂 Malheureusement, c’est cette perception qui domine chez beaucoup d’investisseurs. Cela vient souvent de l’amalgame entre XR et jeux qui poussent à comparer un peu brutalement les deux marchés. Évidement, le marché du jeu (avec ou sans la partie mobile) est bien supérieur au marché de la XR et, sauf erreur de ma part, il n’y a pas de jeux véritablement AAA conçue comme exclusivement en XR. Cela n’aide pas à prendre le secteur au sérieux.
Le défi des « applications « »killer apps » en XR
J’ai eu l’occasion d’aborder ce sujet dans un article et je reste toujours sceptique sur la possibilité de voir apparaitre une vraie « killer app » (B2C) en réalité augmentée (les futures lunettes boostées à l’IA me donneront peut-être tort). Coté VR, nous avons vu que les jeux ne sont pas encore au niveau et je ne vois pas comment un casque pourrais réellement remplacer un écran. Qu’il soit complémentaire, je n’en ai aucun doute, qu’il s’y substitue, c’est plus dur. Les investisseurs évoquent, dans ce rôle de « kille app », des applications sociales semblables à Instagram ou WhatsApp pour le smartphone. Ils parlent également du potentiel du Vision Pro d’Apple. Cela reste très vague. Un peu comme dans le cadre précédent, cette absence de visibilité ne favorise la reconnaissance des potentiels du secteur.
Parler de résolution de problème plutôt que de XR
J’enfonce une nouvelle porte ouverte, mais les investisseurs en parle assez longuement. Si les personnes en face de vous n’ont ni une grande connaissance de la XR, ni une grande confiance dans son potentiel de développement, autant ne pas leur en parler ! C’est une conclusion un peu brutale, mais cela revient simplement à se concentrer sur le besoin client et non sur la technologie. Maddie Callander (Boost VC) propose une démarche simple : retirer la XR de votre pitch pour se concentrer sur la valeur ajoutée fondamentale. Ensuite, montrer comment la XR est indispensable, car clairement supérieure a toutes les autres solutions disponibles.
Peut-on « vraiment » financer du contenu en XR ?
C’est un sujet extrêmement large que les panels ne font d’abordés du point de vue des investisseurs. Il faut donc rester prudent et ne pas négliger les sources de financements comme les préventes, les partenariats ou les subventions. Mais dans le cas où un créateur de contenu s’adresse à un investisseur en startup « classique », on va lui poser la question de sa montée en puissance (scale up). Comment gagner des parts de marché en gardant un cout de développement minimal (voir marginal) de manière à accroitre les marges et la valeur de la société ? On comprend que la question passe rapidement du contenu crée à la manière de le créer. Dans ce cadre, si le créateur de présente pas une méthode, un process, voir une plateforme de création, l’intérêt de l’investisseur sera difficilement atteint. Nous en revenons à notre remarque initiale, toutes les entreprises de création de contenu ne sont pas destinées à lever des fonds chez des investisseurs.
L’IA comme partenaire « obligé » de la XR
Pas de surprise, l’intelligence artificielle est souvent mentionnée comme un complément utile pour la création de contenu XR, notamment pour faciliter l’interaction utilisateur et créer des environnements immersifs plus riches (et moins chers). Reste à bien envisager la place de l’IA dans le projet et à ne pas négliger l’investissement nécessaire. L’IA ne doit pas être l’argument central d’un projet, mais plutôt un outil pour améliorer l’expérience globale.
Le matériel, le Vision Pro et les lunettes
La question du matériel revient régulièrement dans le deux discussions et les opinions sont partagées. On peut toutefois entendre des points d’accords entre les personnes : le matériel VR (les casques) et dans une phase de maturité avec des acteurs comme Meta, le matériel RA (les lunettes) est encore en train de se chercher dans la majorité des cas. Cela rend les projets en VR un peu plus simples à défendre. Il reste évidemment des étapes en franchir. Des technologies comme le suivi oculaire et le rendu fovéal, jugées essentielles pour améliorer l’expérience utilisateur, n’ont pas encore été pleinement intégrées dans les casques actuels, qui restent globalement trop lourds. L’Apple Vision Pro a changé la perception de la vidéo stéréo 180°, initialement considérée comme obsolète. Sa haute qualité visuelle a montré que ce format pouvait encore avoir un impact significatif et donc rouvrir un marché trop vite enterré. Ce casque va-t-il ouvrir d’autres marchés ? La question est entière !
Un point sur les cycles d’investissement et la trésorerie (et oui)
Ce point n’est pas spécifique à la XR, mais il a été bien explicité par les intervenants : Les cycles de financement se sont allongés, avec des attentes de 18 à 24 mois avant de lever de nouveaux fonds, ce qui est important pour des entrepreneurs qui doivent planifier sur le long terme. L’un des conseils donnés est de « survivre comme un cafard », c’est-à-dire de persévérer malgré les défis du marché, ne pas négliger les usages simples, et capitaliser de l’expérience pour les opportunités qui viendront avec le temps.
Que peuvent en tirer les entreprises de la XR ?
Si le paysage de l’investissement reste tendu comme nous l’avons vu dans l’article précédent, le marché potentiel de la XR reste toujours intéressant. Est-il vraiment atteignable par les startups ou va-t-il simplement tomber dans le CA des géants du numérique ? La question se pose réellement aujourd’hui. Comme vous pouvez le voir sur ce graphe de la dernière enquête de France Digitale (concernant les entreprises françaises de la tech), la phase d’amorçage (seed) semble être en meilleur état que l’an dernier, mais les phases suivantes se dégradent, rendant difficile dans notre pays des stratégies de développement rapide.
C’est d’autant plus important pour le secteur de la XR que la dernière enquête du CNXR a montré que l’investissement privé est structurellement moindre dans ce secteur, le rendant très vulnérable. Les deux discussions des investisseurs sur AWE2024 ont confirmé des éléments que nous connaissions déjà : il est essentiel pour les entreprises de se concentrer sur des applications concrètes, plutôt que sur des expériences trop futuristes ou conceptuelles. Il est également important de montrer que la technologie est prête pour le marché aujourd’hui, même si des améliorations sont encore à venir. Les investisseurs recherchent des projets qui peuvent démontrer une valeur immédiate. Et on parle bien dans ce cas de « traction », pas seulement l’existence de client, mais la capacité à démontrer leur multiplication !
Bonjour
J’adore votre analyse, que je partage à 100 %, comme tous les business il faut être “customers oriented” et ne pas vender de la technique ou de la technologie, mais une solution adaptée à la problématique du client .